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Conversation avec Camila Oliveira Fairclough

Camila Oliveira Fairclough est née en 1979 à Rio de Janeiro.

Elle vit et travaille à Paris.

COF - © Romain Durand

Camila Oliveira Fairclough (C.O.F) est une peintre abstraite, minimale et conceptuelle, pop et op si tant est que cela se dise, et bien sûr, figurative parfois. Son travail résulte à la fois d’une nonchalance feinte/peinte, d’une hyper attention et de prélèvement dans le quotidien. Les détails donnent autant d'abstractions trouvées et les sons entendus deviennent des mots peints. Ainsi COF exploite les notions du langage, des formes, de l’image et leurs significations diverses pour mieux mettre en lumière des interrogations picturales et faire de la toile un terrain d’expérimentation.



Pour toi que signifie le mot cool ? Tu en as fait un tableau récemment. Cette peinture, en devient- elle cool ?


En fait, je suis tombée sur un chiffon à l’atelier que j’ai trouvé très pictural. J’aimais les tâches sur ce tissu, le motif. J’aime bien la succession des lettres c.o.o.l et j’aimais aussi les formes de ce mot trouvé. Ça aurait pu être un autre petit mot pour ce petit tableau mais il se trouve que c’est le mot cool. Il n’a pas été fait avec l’objectif de faire un tableau cool. Je ne sais pas ni ce que c’est ni comment faire.

CAMILA OLIVEIRA FAIRCLOUGH - Cool, 2020 Acrylique sur toile 19 x 33 cm Unique (Ref. cof148)

La peinture est peut-être le médium dont on parle le plus mais j’ai l’impression que c’est toujours - soit l’idée de sa mort, de sa résurrection ou de sa révolution qui prend le dessus. Il faut toujours l’expliquer un peu plus. Pourquoi peins-tu ? Ou plutôt, pourquoi et comment es-tu venue à la peinture ?


Je pensais que c’était fini ça ?! Je n’ai jamais compris vraiment pourquoi on parle en particulier de la mort de la peinture. Quand j’étais étudiante, cela me rendait triste. Aujourd’hui, je n’y pense plus, je ne me sens pas concernée, je peins parce que j’aime la peinture et je peins quand j’ai le désir de peindre.


On parle souvent du style d’un.e peintre ? Comment définirais-tu le tien ?


Oui, c’est vrai. Disons que le mien est plutôt éclectique. Improvisé… ? J’essaie souvent de changer. Quand je passe d’un tableau à un autre, j’aime les écarts entre eux lors que je les fais et lorsque on les regarde.


Ne travailles-tu pas précisément autour des recherches du sujet en peinture ?


Parfois oui, mais pas précisément. Disons que j’essaie de détourner la question du style et du sujet en peinture. On pourrait faire un tableau à partir de tout. Parfois l’origine du tableau est simplement picturale, il n’y a rien d’autre au départ. Le sujet n’est pas si important. Ce qui m’intéresse, c’est la distance, le déplacement entre les formes trouvées et les tableaux.


Le style du peintre où sa manière, cela permet de marquer une époque. La peinture est une sorte d’indicateur temporel. Dans tes peintures, dernièrement, j’ai vu apparaître de nombreuses fois le motif de l’horloge. Que signifient-elles ?


Oui ça marque une époque, comme dans la mode. On a forcement tous un style, une façon de faire. Ce sont mes tondi qui m’ont renvoyé à la forme du cercle d’une horloge. Cela renvoie ensuite au temps de peindre, le temps qui passe, le temps de regarder… Je passe d’un tableau à un autre sans chercher un style particulier, l’exposition traduit cette attitude. Je privilégie toujours le «comment peindre», plutôt que le «quoi peindre». C’est important de montrer qu’il s’agit de peinture.


Les cercles ont une histoire en peinture. La peinture occidentale hérite du mythe du rond parfait de Giotto ( Perfetto come la 'O' di Giott). En calligraphie, il représente le geste parfait, le cercle méditatif que l’on appelle enso et que l’on retrouve souvent dans la peinture lyrique. Et puis dans les années 60, Olivier Mosset et ces peintures sans propos, mais dont le cercle occupe l’espace central… Finalement, tes horloges, peut-on les lire comme une histoire de l’art ultra compressée ?


J’adore Giotto et Mosset, Yayoi Kusama, Oscar Niemeyer aussi qui aimait beaucoup les formes arrondies. On peut les lire comme on veut. La peinture ne s'échappera jamais de l'histoire de l'art. Une histoire de l’art ultra compressée, pourquoi pas.

Je travaille souvent à partir de formes simples en raison de leur ouverture. Leur interprétation tient à peu de choses, cela permet de garder une certaine ambiguïté malgré l’évidence ou la fausse évidence d’un motif. Pour moi, ce sont des tableaux comme les autres mais avec une forme circulaire ultra simple, et parfois des chiffres et des aiguilles qui sont, pour moi, une sorte de motif, comme quand je peins des lettres. Ils parlent du temps forcément.

CAMILA OLIVEIRA FAIRCLOUGH - O’clock, 2021 Acrylique sur toile 80 Unique (Ref. cof252)

Peux-tu nous dire comment tu travailles ? Comme se déroule une journée d’atelier ? Lorsque tu croises une idée ou une envie, la réalises-tu immédiatement ou au contraire, il te faut un temps de «maturation» ?


Ça dépend des jours ; d’une question de désir, d’énergie et d’envie justement. Parfois je ne fais rien, parfois il peut arriver qu’une heure avant de partir de l’atelier, je travaille beaucoup. Parfois c’est rapide, parfois c’est lent. Je peux aussi revenir sur un tableau plusieurs fois dans la semaine, ou dans l’année. Le point de départ de mes tableaux est souvent un motif trouvé. Cela peut-être la toile elle-même. Je n’ai pas vraiment de programme ni de techniques précises, c’est plutôt une sorte d’aventure.


D’ailleurs que dirais-tu de tes sources d’inspiration ? D’où proviennent-elles ? Quelles contraintes t’imposes-tu dans la sélection du motif ?


Depuis quelques années je m’inspire souvent des dessins de ma fille. Elle apprend à lire et à écrire en ce moment et je suis fascinée par les formes de ses lettres, son trait spontané, mais qui essaye de s’appliquer. J’ai récemment fait deux peintures d’après un alphabet dessiné par elle.

Sinon l’idée de la «rencontre amoureuse», du ready-made m’a toujours intéressée. Une rencontre imprévue avec quelque chose que l’on ne cherche pas vraiment mais que l’on trouve, l’idée que c’est l’objet qui t’a vu en premier, qui t’a fait un clin d’œil.

C’est très ambigu pour moi la notion de contrainte, car je n’aime pas les contraintes et les règles en générale. Par contre, l’objet tableau en est une mais avec laquelle j’aime travailler. Un objet concentré qui permet une ouverture. Il y a tellement de contraintes dans la vie et au même temps tellement de possibilités !

CAMILA OLIVEIRA FAIRCLOUGH - Alphabet couleurs, 2020 Acrylique sur toile, marc de café 162 x 97 cm Unique (Ref. cof50)

On trouve une forte présence de mots dans la peinture occidentale. Aussi bien pour faire dire des choses, que pour ce qu’il est. Dans ta peinture, il se fait le fragment d’un réel. D’où te vient cette envie de faire du mot une image ? Pourrait-on lui associer cette phrase de Deleuze : «En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces.» ?


On peut lire/voir les images et les formes. Je ne choisis pas entre les deux. Je reproduis des formes que je trouve et/ou que je déplace de leurs contextes. Je considère aussi que chaque tableau est autonome. Ce sont les tableaux qui parlent pour faire dire des choses, mais aussi pour ce qu’ils sont, chacun avec leur présence.

Et j’ai toujours trouvé Deleuze cool. Un philosophe qui fait un Abécédaire en forme de film-entretien ne peut qu’être bien.


D’où te vient cette envie de faire du mot une image ?


J’ai vécu mon enfance et mon adolescence en Afrique du Sud et au Brésil où je suis née. Je vis en France depuis une vingtaine d'années. Je pense que le fait d’avoir été confrontée à différentes problématiques de traduction où j’ai souvent dû, dans un premier temps, déchiffrer les mots de manière intuitive. Le langage n’était pas ce qui pouvait m’aider le plus mais il a permit d’attirer mon attention sur ces glissements du lisible-visible. Essayer d’interpréter, de déchiffrer des signes, d'imiter des sons, c‘est un peu ce que je fais en peinture finalement.


Avec tes abstractions, on reste loin de l’artiste post WWII et de son culte de l’originalité à tout prix. Pourquoi se rattacher au réel ? Est ce rassurant ? Est ce une manière de rendre visible ? De nous inviter à réfléchir sur nos habitudes quotidiennes ?


Je trouve toujours moins originaux ceux qui veulent l’être à tout prix. Pareil pour ce qu’ils produisent. Je ne peux pas faire autrement que de travailler avec ce que je vois, ce qui est autour de moi. Les choses, les situations banales du quotidien peuvent parler à tout le monde. L’idée du déjà vu me plaît, c’est une forme de reconnaissance, de nostalgie, quelque chose de rassurant. Je préfère toujours quand tout est visible, sans artifice, sans illusion. Quand je peins, je laisse parfois la toile visible avec sa présence, sa matérialité ; parfois le châssis aussi est visible par transparence. Je laisse le crayon à papier, les traces du pinceau, les couches des peintures. C’est une façon de parler/montrer concrètement sur quoi on travaille, comment c’est fait… La peinture est toujours physique et concrète, et en même temps, «un tableau est toujours une image d’un tableau». J’espère seulement que les tableaux questionnent et invitent à réfléchir.


On parle de tes tableaux et de la démarche qui sous-tend ta pratique mais peut être, peut on en parler de la même manière que Frank Stella: What you see is what you see. Cette sentence te convient elle ?


Oui, je trouve cette phrase juste, si on prend en compte sa dualité, si on considère que l’on peut voir ce que l’on veut.


Les poésies de Mallarmé avec des mots isolés ont eu une grande influence sur les artistes du début du XXe siècle et Marcel Broodthaers dira plus tard que «Mallarmé est la source de l'art contemporain». Est ce que ce sont deux figures qui t’intéressent ? L’œuvre de Mallarmé est justement défendue comme «celle de l'absence de signification qui signifie davantage». Elle est ce qu’elle est. C’est d’ailleurs à la même période qu’apparaît le slogan «L'art pour l'art» qui affirme une certaine neutralité de l’art.


Oui, bien sur, ce sont deux figures qui proposent une grande ouverture ; ils ont ouvert des voix. Je me souviens quand j’ai découvert Mallarmé. C’était dans mes premières années en France, j’apprenais le français à l’époque. Un coup de dés… est l'un des premiers poèmes typographiques français. C’était encore plus énigmatique pour moi mais j’avais l’impression que je pouvais comprendre cette absence de signification qui «signifie davantage» mais sans savoir exactement pourquoi. Je garde une phrase de lui, un point de vue que je trouve très concret: «ce n’est point avec des idées […] que l’on fait des vers. C’est avec des mots».

Broodthaers m’a beaucoup intrigué également. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si je comprends bien son œuvre qui mêle souvent dans ses environnements des sortes de ready-made avec un humour absurde chargé de références. Sa relation contradictoire entre langage et image m’a toujours intéressé. Une fois, j’ai intitulé une exposition à la montagne (en Suisse), «Un jardin d’hiver». C'était à la fois une sorte d’hommage et de fil conducteur. Ça m'a aidé pour la sélection des peintures. En fait, les mises en scène de Broodthaers avec ses palmiers m’ont fait penser à «Eden», une installation de Helio Oiticia. C’était pour moi une façon d’essayer de juxtaposer l’atmosphère «hivernale» à l’extérieur avec une sorte d'idée de modernisme «exotique» à l’intérieur.

Est ce que tu t’intéresses plus à Broathers qu'à Mallarmé, aux artiste qu’aux écrivains/poète ?


Je dirai que ça dépend des jours. Ce sont deux approches différentes mais qui ont parfois des points de contact. Parfois un mot, une phrase peuvent être le point de départ d'une peinture, ou d'un titre mais mes sources sont plutôt picturales. J’ai envie de répondre à ta question avec une phrase d’un autre artiste: «I never read I just look at pictures», Andy Warhol .

CAMILA OLIVEIRA FAIRCLOUGH - Hello goodbye, 2021 acrylique et crayon à papier sur toile 90 x 260 cm Unique (Ref. cof250)

Que penses tu de cette idée de «l’art pour l’art» (l’idée que l'œuvre d'art n'a d'autre fin qu’elle-même) ?


Mon travail se situe à l’intersection de différents courants, de différentes traditions. Pas pour brouiller les pistes, mais pour travailler avec tout cela sans choisir une chose plutôt qu’une autre. Je me sens proche d’artistes qui se situent à des croisements, qui cherchent dans plusieurs directions en même temps. Pour en citer quelqu'un.e.s: Jessica Diamond, Gene Beery, Guy de Cointet, Walter Swennen, René Daniëls, Mary Heilmann, Sylvie Fanchon (qui était l'une des mes enseignantes aux Beaux-Arts), Ree Morton, Dana Frankfort, Rochelle Feinstein.

Je sais que je ne répond pas directement à ta question mais pour résumer, voici une citation avec laquelle je me sens très proche «L’expérience visuelle de la peinture [devrait être] une expérience unique… aussi unique que la rencontre que l’on fait avec une personne, un être vivant» (Barnett Newman).


Comment appréhendes-tu l’expérience du spectateur ? L’écriture sur le tableau s’adresse directement au regardeur et comme on le sait depuis Duchamp, «c’est le regardeur qui fait l’oeuvre». Est-ce d’ailleurs le lien avec le titre de ta dernière exposition, «venez comme vous êtes » ? Est-il possible de venir autrement ?


Parfois, par curiosité, je demande à des gens que je connais lors d’une exposition ou lors d'une visite d’atelier quel est leur tableau préféré et pourquoi. Je suis toujours très curieuse de savoir comment le spectateur va rencontrer les tableaux. Bien sûr, il est libre de voir ce qu’il veut, de venir et partir comme il est. Il faut avoir quand même une certaine disponibilité. Les tableaux sont ce qu’ils sont aussi. Chaque personne est libre de s’identifier avec un, deux, trois, tous, ou aucun.


Acceptes-tu que l’on dise de ton travail qu’il est nonchalant ? Ou alors feint-il la nonchalance ? La nonchalance feinte ou la sprezzatura est une notion d’approche du cool voire l’une de ces premières occurrences. Pour résumé, une œuvre ne devrait jamais affleurer le labeur, c’est-à- dire une technique lourde et une construction trop rigoureuse.


Oui complètement si tu parles dans ce sens-là; je ne suis pas du tout impressionnée par le labeur et la technique en tout cas ce n’est pas ça qui fait que j’aime un tableau ou que je le trouve réussi ou simplement le fait qu'il tienne la route.


Y’a t’il un relâchement de la notion « travail » dans ton travail ? Celui-là même dont parle Paul Lafargue dans son «Droit à la paresse». Une peinture jouissive (pour celui qui l’exécute) et non laborieuse.


Oui et non, je ne suis pas vraiment relax malgré mon apparence et mon petit accent chantant brésilien. Il parait justement qu’il peut évoquer une sorte de nonchalance. Je suis plutôt impulsive, impatiente et pour cela je suis plus partante pour travailler moins, mais ça n’a rien a voir avec une peinture non laborieuse. C’est vrai aussi que parfois la paresse peut aider à aller vite. Personnellement je n’aime pas passer des heures et des jours à faire un tableau. Je pense aussi que c’est plus difficile de peindre peu d’éléments sur un tableau et que moins d’éléments parfois produit plus d’informations et permet de questionner plus également.


Quelle est l’influence de Ed Ruscha dans ton travail ? On peut le considérer comme l’un des pères fondateurs du cool, mais l’identité de son approche est très liée à la côte ouest américaine. «Ces tableaux-mots» neutralisent la signification du texte tout comme les wortbilder de Walther Franz Erhard. Que prends-tu chez chacun d’entre eux ?


J’ai été très influencée par Ed Ruscha, bien sûr. J’adore toujours son travail et tout son travail, y compris ses éditions et films. Son rapport au langage, au pop ainsi que la dimension conceptuelle qui en découle m’intéresse. Ses tableaux sont très ouverts malgré la première apparence directe et frontale. Ils ont la faculté de «faire penser à».

Les wortbilder de Walther Franz aussi parce que l’on peut voir les mots et les constructions des dessins de façon simple, les couleurs sont aussi très pertinentes. Les lettres sont des formes, elles ont un dessin on les voit, au même temps il y a déjà des mots dans les lettres. La question du langage comme forme et de la forme comme langage présente chez ces deux artistes m’intéresse beaucoup.


Peut-on apprécier les citations et les emprunts que tu peux faire aux différents grands courant à travers le mouvement anthropophage brésilien des années 20 ? Le manifeste d’Oswald de Andrade prônait justement une appropriation et un mélange des cultures (européennes) avec la culture brésilienne dont le résultat ne peut que donner des formes hybrides.


Oui tout a fait. Une sorte d’approche de l’art occidental et une interprétation décomplexée, plus intuitive peut-être je dirais et qui permet de mixer. Je me sens plutôt liée au mouvement néo-concret brésilien. Des artistes comme Hélio Oiticica et Lygia Clark, en partant de la géométrie et de la couleur, sont allés naturellement vers l’espace, l’objet et la performance. Je me sens proche de cette attitude non-dogmatique, plus expérimentale ; une sorte d’assimilation de l’avant-garde européenne de manière très intuitive.


Pour finir, je te laisse avec une rime de La Fontaine. Tu as le droit d’être d’accord, de le contredire ou de la laisser filer. Dans son conte du tableau, il dit ceci :

«Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles

Ni les yeux ne sont les oreilles.»



Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet


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