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Conversation avec Corentin Canesson

Corentin Canesson est né en 1988 à Brest. Il vit et travaille à Paris

Corentin Canesson @ Pierre Mouton

Corentin Canesson est peintre et cela suffit à en dresser la motivation et pourquoi pas, un certain penchant psychologique. Ces œuvres oscillent entre représentations abstraites et figuratives et répondent souvent mais pas exclusivement à des protocoles d’apparition. Comme commissaire d’exposition il a co-dirigé le lieu «Standards» à Rennes pendant plusieurs années. Actuellement résident au DOC à paris, il est aussi guitariste du groupe TNHCH. A ce titre, comme pour ses expositions personnelles, il réalise les supports de communication, réactivant une pratique de peintre D.I.Y héritée des mouvements punks.

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Qu’évoque le mot «cool» pour toi ? A quoi l’associes-tu ?


Ça me rappelle une interview de la chanteuse Julee Cruise que j’avais vu quand j’étais adolescent, où elle disait qu’elle détestait les artistes «cools» et qu’elle cherchait à être tout sauf «cool», ça m’avait marqué, mais l’ennui c’est que j’avais trouvé ça très «cool». Autrement ça ne m’évoque pas grand-chose, peut-être une vielle marque de cigarettes qui étaient les KOOL.


On trouve du texte dans beaucoup de tes peintures. Que dire de cette phrase très célèbre de Matisse, dans Écrits et Propos sur l’Art: «Vous voulez faire de la peinture ? Avant tout il vous faut vous couper la langue, parce que votre décision vous enlève le droit de vous exprimer autrement qu’avec vos pinceaux.» Tes peintures sont comme un pied de nez finalement, en y inscrivant du texte, tu souhaitais les rendre bavardes ?


Pas vraiment puisque le texte est justement une manière de mettre de côté un certain nombre de décisions. Le texte devient le sujet, et quelque part la raison d’être du tableau, et c’est justement par ce que cette question est évacuée que je peux continuer à peindre et à peindre comme je l’entends. Finalement ces peintures de textes sont très bavardes dans leurs manières de peindre le texte, et ces manières cherchent à l’être plus que le texte lui-même. Mais c’est très compliqué pour moi de répondre à cette question puisqu’il faut que je puisse être critique à la fois sur le choix du texte et sur la manière de peindre en elle-même. Et dans les deux cas se sont toujours des sources, des envies et des décisions qui viennent de plein d’endroits différents.


En quoi peut-on différencier celles qui ne contiennent que du texte et celles mêlant sujet et texte ? Pour ces dernières, le texte vient il compléter l’image ? Permet-il d’orienter la lecture ?


Il suffit de les différencier tel que tu le fais. Certaines peintures «ne sont que du texte» d’autres jouent sur un rapport de texte et d’image, mais il peut y avoir des peintures sans texte où le titre va jouer son rôle, il y a aussi des peintures «abstraites» avec du texte dessus, abstraites sans texte et avec un titre, etc... Tout est possible. Pour moi, c’est une question de sujet, et le texte rempli son rôle, et donc toute la charge de sens et d’interprétations qu’il contient, et qui évidemment m’échappe très vite. Mais disons que le texte renforce toujours l’image. Parfois avec beaucoup (trop) de facilité d’ailleurs. Comment réussir une mauvaise peinture abstraite ? On lui ajoute du texte, ça devient une image très efficace. Pour être honnête, il y a parfois de ça. En tous cas ça part d’un constat : celui d’une insuffisance de la peinture, qui aurait nécessairement besoin d’un autre espace, celui du texte par exemple, qui permet de l’amener ailleurs. Avec du recul je me rends bien compte qu’au final ça n’a pas une si grande importance, mais sur le moment, pour produire, c’est une forme de soutien très nécessaire, voire indispensable.


Dans tes nombreuses phrases/slogans, on trouve celle-ci: «There it goes». Ce leitmotiv, je crois qu’on peut l’associer à la fois au cool et à la peinture. A chaque fin annoncée, on voit que tout recommence. Comment situes-tu l’acte de peindre aujourd’hui ? Est-ce une sensibilité propre à la peinture et uniquement cela ? Peut-on y voir un engagement particulier ?


J’accepte bien sûr l’interprétation de ce «There it Goes», puisque de toute manière ça m’échappe, mais dans les faits, c’est un titre repris au groupe The Smashing Pumpkins, (une démo de leurs début en 1989), qui n’a rien à voir avec la question de la peinture. Et quand j’ai découvert ce morceau, ce qui m’a frappé ce n’est pas son titre, mais à quel point le morceau sonnait comme une reprise de références de groupes du début des années 80, et qu’il sonnait en même temps comme beaucoup de groupes du début des années 2010. Donc l’ironie de ce titre / tableau, c’est que s’il induit une question de recommencement perpétuel de la peinture, il part pour moi plutôt du même constat, mais concernant la musique. La personne qui a acheté la première version de ce tableau m’a envoyé une photo du tableau dans son salon au début du confinement, en me disant un peu «Bon on y est, there it goes...», donc voilà: la peinture, à un certain moment, ne parle plus de post rock ou de peinture radicale, mais de l’état du monde présent, ou au moins de l’état d’une personne dans son salon en 2020… Ensuite, situer l’acte de peindre aujourd’hui ? Je préfère juste parler de mon point de vue, si on commence à se poser cette question par rapport au monde en général, à l’économie, au marché de l’art, à la raison d’être de tous ces tableaux, on n’a vraiment pas fini. Je me limite à cette question de plaisir et d’espace de liberté. C’est très terre à terre, mais il faut bien se dire que les moyens de la peinture sont extrêmement simples et à la portée de tout le monde, donc je considère l’acte de peindre comme un geste qui commence avec le premier geste d’inscription que l’on réalise quand on est enfant. A partir de là, il faut voir la peinture, mais en fait toute pratique artistique, comme quelque chose qui poursuit ça, mais qui se charge de toutes les connaissances, désirs et expériences que l’on y ajoute. Donc ça devient aussi un espace, et j’aime bien penser que c’est vraiment un endroit où l’on est libre. Et disons que, pour moi la peinture reste le moyen le plus simple et le plus immédiat pour créer cet espace et poursuivre ce geste.


On entend souvent l’expression de Duchamp: «bête comme un peintre». Tu en penses quoi ?


Que c’est kool.

Ta pratique picturale se nourrit de plusieurs influences historiques: l’expressionnisme abstrait américain, l’abstraction lyrique, la figuration libre ou néo-expressionniste; parfois on tombe sur les références au cinéma, à la musique. Dans ce passage de l’un à l’autre - figuration et abstraction - image et mot, culture savante et populaire, que faut il y voir ? Est-ce le refus de devoir faire un choix ? La mise en place d’un alphabet pictural ? Un droit à la «liberté» qui dit le plaisir de faire ?


Pour ce qui concerne la peinture, le paradoxe, c’est que j’ai l’impression de faire toujours la même chose, ou disons de rechercher toujours la même chose dans la pratique de la peinture, une certaine émotion visuelle. Ensuite, oui on peut voir ça comme un alphabet pictural, je parle souvent de motifs, qui permettent de remettre en branle cette recherche. Et tout ça se nourrit de toutes les sources qui m’entourent et m’intéressent. A partir de là, on voit bien que tout peut rentrer dans le travail ; donc il ne s’agit pas de faire rentrer une culture dans une autre, même si ça arrive parfois, c’est plutôt l’idée de considérer la pratique artistique comme un environnement un peu autonome, qui reçoit et produit en même temps. Mais ce n’est pas un circuit fermé bien sûr, au contraire.


L’une des choses que l’on peut retenir avec la peinture, c’est qu’elle s’inscrit dans une continuité historique longue. Finalement, toutes les peintures semblent communiquer avec des artistes disparus depuis des siècles. Qu’as-tu à leur dire ?


Je dirais: «Merci, c’est vraiment kool.»


Un autre rapport au temps se révèle dans tes œuvres. Certaines de tes peintures ont l’air de demander beaucoup de temps en terme de réalisation et d’autres d’avoir été exécutées plus rapidement, de manière plus impulsive. Est-ce le cas ? Si oui, de quoi résulte cet écart entre rapidité d'une part et minutie de l'autre ?


Et non ce n’est pas vrai, C’est du bluff. En réalité je prends plus de temps à faire les tableaux abstraits «impulsifs» que les tableaux figuratifs plus minutieux dans le traitement. Si on parle du temps d’exécution évidemment, je passe peut être une journée à peindre un tableau figuratif, mais le dessin est très rapide et ensuite ce sont des choix de traitement et de «coloriage», pour les tableaux abstraits je passe beaucoup plus de temps à les regarder et à «réfléchir» devant. La plupart ont beaucoup de surcouches, les fameux «repentirs» français. Mais par exemple, il y a pas mal de tableaux figuratifs ou textuels sur lesquels j’ai passé beaucoup de temps qui sont «sous» des tableaux abstraits, et l’inverse est presque systématique, puisque je fais toujours un fond très gestuel avant de commencer un tableau figuratif. Ça en tient toujours une couche.


En choisissant d’élaborer des protocoles d’apparition (le format précis des toiles abstraites, des sujets à connotations érotiques et de la série des oiseaux) cherches-tu une légitimité pour ces toiles ? L’idée d’un cadre pré-établi et d’en faire des séries permet-elle de les rendre «viables» ? Pourraient-elles l’être en dehors de ce système ?


C’est toujours très difficile de «commencer». Donc j’utilise les invitations à exposer, les envies, les budgets de productions, voire des choses très anecdotiques, comme des leviers pour mon travail. Ça paraît difficile de s’imaginer se lever un matin en se disant «je vais peindre 60 paires de couilles pendant 3 mois». Comment se sentir «légitime» ? Mais par les hasards des rencontres et des projets, ça m’est arrivé, et je sais bien que c’est par une espèce d’acceptation de ce qui vient et des rencontres et influences que j’en suis arrivé là, et ça me permet de continuer à travailler. Ensuite sur la question de la série, ça produit à la fois une forme d’épuisement du sujet et en même temps ça lui donne une capacité de projection très forte. Et c’est cette capacité de projection qui permet la surenchère à l’intérieur de la série, et qui permet, elle aussi, de continuer à y travailler.


Cette rigueur protocolaire, que permet-elle dans un pur exercice de peinture ? Un épuisement du sujet ? Une réserve à sujet et «œuvres futures» ?


Elle permet sans doute d’entretenir la recherche de cette «émotion visuelle» dont je parlais. Et je suppose qu’elle est inatteignable, donc l’épuisement du sujet trompe l’ennui finalement. Et puis, oui, ça devient une réserve, des motifs qu’on joue et qu’on rejoue.


D’ailleurs tout peut-il être peint ?


Oui.


Y a-t-il des sujets que tu considères plus sérieux que d’autre ? Plus propices à l’exploration du médium et de l’iconographie contemporaine ?


Non.


Si on peut concevoir certaines tes peintures comme légères ; j’aimerai aborder celles des oiseaux. «Oiseaux» est le seul mot de la langue française dont les lettres qui le composent ne se prononcent pas. As tes yeux, que représentent les oiseaux ? Que signifie de les peindre ? Leopardi écrit que «les oiseaux sont toujours joyeux d’allure et de mouvement, ils ont le pouvoir de ravir notre vue par leur aspects et leur attitudes qui dénotent un don et une aptitude particulière au plaisir et à la joie». Dans tes peintures, ils sont parfois libres et parfois engoncés, enfermés dans le format de la toile. Il existe une langue (un langage) dite des oiseaux qui consiste dans une acceptation large à donner un sens différent ou caché à une phrase. C’est une sorte de polysémie. Que dire de tes oiseaux ? Sont-ils des avatars de l’artiste contemporain ?


Je suis toujours obligé de parler de ma petite histoire pour parler de ces oiseaux puisque la série a débuté, encore une fois, pour des raisons très anecdotiques. Donc c’était en 2014, je vivais à Paris depuis deux ans, j’avais passé mon diplôme aux beaux-arts de Rennes en 2011. Et on va dire que j’étais en plein dans cette sale période de l’après école où on se retrouve très frustré de devoir travailler à droite à gauche, en ayant beaucoup de mal à maintenir sa pratique. Et vivant à Paris je n’avais pas d’atelier et aussi peu de temps et peu de moyens. A côté de ça, j’étais quand même pas mal investi dans l’art, mais par le biais du commissariat d’exposition, mais cette pratique m’éloignait elle aussi beaucoup de la peinture. A ce moment il y a eu deux choses qui m’ont fait enclencher cette série, d’abord Jean-François Maurige, qui était mon enseignant aux beaux-arts et que je voyais toujours de temps en temps, qui m’a un peu secoué en me disant qu’il fallait que je trouve un moyen de continuer mon travail. Il filait une métaphore qui était de l’ordre de se construire une cabane dans un jardin le dimanche, de se dire qu’il y a toujours un dernier recours. Et ensuite c’est une discussion avec un ami artiste, Benjamin Husson, qui m’a fait découvrir les lithographies de Jean-Jacques Audubon, un naturaliste américain du début du 19ème siècle qui a représenté beaucoup d’espèces d’oiseaux de l’époque dans des planches, et pour faire apparaître l’animal le plus grand possible dans l’image, il les contorsionnait. Ce qui m’a tout de suite parlé visuellement. Je lui ai piqué l’idée, et je me suis mis très peu de temps après à peindre un tableau d’oiseau chaque mois, d’1m x 1m dans mon salon. Ça a été ma cabane en quelque sorte. Cette espèce de protocole a duré une dizaine de mois. Ensuite j’ai réussi à m’en sortir un peu mieux, à avoir de meilleures conditions pour peindre. Mais c’est un motif qui est resté, j’ai produit d’autres séries d’oiseaux, et c’est devenu un signe parmi les autres. Ce motif permet énormément de possibilités: en terme de manière de peindre, d’expressions… je ne sais pas très bien dessiner et un oiseau est quelque chose de très malléable dans sa représentation, donc ça m’arrange. J’accepte qu’on puisse y voir la figure de l’artiste, du poète, une forme d’autoportrait, un constat sur l’écologie, tout ce qu’on veut, mais ce n’est pas volontaire. La métaphore de la contorsion sans doute, mais je ne pense pas que ce soit propre aux artistes. On passe tous un peu nos vies à se contorsionner.


Pour tes expositions tu peins le plus souvent un grand nombre d’affiches et de cartons d’invitation. Comme guitariste du groupe THE NIGHT HE CAME HOME, tu réalises les pochettes du groupe et certains visuels. Cette appropriation des supports de communication rappelle les méthodes D.I.Y ou punk et fait penser aux méthodes de Kippenberger - faire du support de communication un nouveau média. Cette démarche est à la fois populaire et généreuse (puisque ce sont des orignaux). D’où te vient cette volonté de prolonger le travail du peintre ?


Oui c’est ça, c’est un prolongement et en même temps un espace qu’on s’approprie et dans lequel on peut expérimenter d’une autre manière ce qu’on ferait dans un rapport classique d’artiste qui fait un tableau. Et ça ouvre pas mal de questions sur la nature, la valeur, et le statut de ce qu’on produit. Par exemple sur les pochettes de l’album vinyle qu’on avait sorti avec mon groupe en 2017, il y avait 300 exemplaires et j’ai donc peint chaque pochette. Ils étaient vendus 20 euros, et ce qui est intéressant c’est que j’ai pu pour moi-même revisiter mon affection pour les pochettes d’album, tout en les écoulant au profit du groupe à des personnes qui avaient des intentions très différentes vis-à-vis de l’objet ; des gens les ont encadrés, d’autres les ont rangés dans leurs collections de vinyles en s’en foutant un peu de savoir que c’était peint à la main. Il y a aussi le musée des abattoirs de Toulouse qui en a acheté 10 et qui les a présenté à 2 reprises dans des expositions: une sur la peinture contemporaine, l’autres sur les pochettes d’album réalisées par des artistes. Parfait ! Disons que ça génère toujours pas mal de questions, et ça peut aussi amener d’autres envies. D’un point de vue formel, ça entretient mon attachement au texte, je ne maitrise pas du tout Photoshop ou Indesign et pour le coup, oui ça me permet de composer, de mettre en page des éléments textuels avec mes moyens, et qui sont ceux de la peinture.


Tu as étudié aux beaux-arts de Rennes avec Jean-François Maurige. Quelle est la trace de son héritage dans ta peinture ? Dans la formation d’un jeune artiste, quelle importance donnes-tu aux échanges avec le professeur, entendu comme «le maitre d’atelier» ?


En général je n’en sais rien, mais dans mon cas elle est bien sûr très importante. Comme je le disais on se voit toujours régulièrement avec Jean-François Maurige, et j’aime énormément son travail. Mais c’est tout un paradoxe aussi, puisque je suis rentré aux beaux-arts de Rennes à 18 ans pas du tout pour suivre un enseignement en particulier mais pour rejoindre mes amis qui s’étaient installés à Rennes … donc avec du recul j’envisage plus ça comme une rencontre importante que comme un «enseignement» , mais je garde un souvenir assez lumineux de ses cours. Il nous montrait des livres de peintures, de photos, ou des films au début du «cours», il commentait en s’énervant pas mal, et après il venait voir ce qu’on faisait dans nos ateliers, en s’énervant encore plus. La phrase-type c’était: «Bon… mais elle pas mal votre merde là ! Mais bon, y faut y aller là !». Après pour être plus sérieux, c’est évidemment une certaine approche de la peinture qui passe par son travail, et évidemment par son enseignement, et cette approche m’influence toujours beaucoup. Je dirais que c’est toute une négociation entre la conscience de la peinture, de son histoire, de l’analyse de ses moyens, de sa déconstruction, et la possibilité d’y maintenir une forme de liberté et de jouissance. Lui il parle d’énergie je crois… Je vois ça comme la recherche d’un équilibre. Et j’aime énormément son travail parce que quand je vois ses tableaux je trouve qu’il y arrive.


Pour finir, tu as co-dirigé, l’espace d’exposition STANDARDS à Rennes et je crois que tu poursuis toujours tes activités curatoriales au DOC. Pourquoi avoir souhaité te lancer dans ces initiatives en parallèle de ta pratique ? Politiquement, poétiquement, qu’est ce qui t’intéresse dans les lieux gérés de manière indépendante et autonome ?


Ce n’est pas vraiment un intérêt qui m’a poussé à aller vers ce type de lieux ou de structures, mais je crois que ça a toujours été une forme de nécessité. STANDARDS était un lieu d’expositions qu’on a créé en 2008 à Rennes à plusieurs étudiant.e.s des beaux-arts et à la fac. On a ouvert en deuxième année d’étude, et donc tout frais dans le monde de l’art contemporain. Sur le moment, l’envie de se lancer dans cette histoire tenait simplement à montrer le travail de nos amis artistes et étudiants et cela tenait au fait que nous ne trouvions pas à Rennes de structures permettant cela, couplée à une opportunité d’occupation d’un espace. Après coup cela nous a apporté plein d’autres choses, une certaine idée du travail en collectif, la possibilité d’inviter des artistes que l’on aimait, quelques voyages, et beaucoup de plaisir. Ça a duré jusqu’à début 2014, on a fait une quarantaine de projets sur 5 ans et une édition/catalogue. On a arrêté pour la raison très simple que nous ne vivions plus à Rennes. C’est par cette expérience que j’ai pu appréhender une manière de penser l’exposition comme un médium.

Le DOC, c’est un lieu qui se trouve à Paris, qui est un ancien lycée professionnel, squatté depuis mars 2015. C’est un lieu qui existe par nécessité, et qui apporte une solution aux difficultés que tout le monde rencontre à Paris pour trouver un espace de travail. J’y loue un atelier depuis les débuts. Nous sommes plus d’une centaine de personnes à l’investir. Il y a des artistes mais aussi des résidences de théâtre, de son, d’écriture, des ateliers techniques (métal, bois, sérigraphie). Ça n’a rien à voir en termes de structure avec la petite équipe d’amis que nous formions pour STANDARDS. Et aussi à l’intérieur de ça des concerts, un cinéclub, des pièces, des festivals, et des expositions. En arrivant je me suis investi dans ce lieu d’exposition et j’ai arrêté en juin 2018. Là encore je n’étais pas tout seul nous étions toujours 3 ou 4 à gérer la programmation. L’espace d’exposition est très grand, c’est l’ancien gymnase du lycée, et les moyens sont bien sûr très réduits. J’ai à nouveau pu y inviter et rencontrer beaucoup d’artistes et de commissaires d’exposition. On est toujours en train d’absorber ce que font les autres, donc quand on est artiste et qu’on organise des expositions d’autres artistes, on fait vraiment le plein… C’est aussi quelque chose de très sain je trouve, on sort un peu la tête de ses préoccupations pour appréhender celles d’un autre travail.

Je ne fais plus de commissariat d’exposition depuis 2018. En fait je me suis rendu compte que ça faisait pile 10 ans que je m’impliquais dans ces questions, et que je le faisais avec des moyens très restreints, c’est aussi pour ça que je ne parlais pas de commissariat d’exposition mais plutôt d’organisation d’exposition. Entre repeindre les murs, les casser et les reconstruire tous les deux mois, nettoyer, stocker, servir les bières, gérer la communication etc.. la programmation ne représentait que 10% du temps que j’investissais.

Kool thing - Corentin Canesson

Donc il y a eu un brin de lassitude aussi il faut bien le dire. Mais ça reste quand même là, puisque ce qui devient plus présent qu’avant dans mon travail d’artiste, c’est d’inviter d’autres artistes dès que je le peux, à travers différentes manières ; ça peut-être peindre à quatre mains, de repeindre sur le tableau de quelqu’un, (je l’ai fait avec Charlotte Houette l’année dernière) de proposer à quelqu’un de faire un texte, une performance au sein d’une exposition, voire simplement de rebondir sur une idée déjà proposée et de citer l’artiste en question, (récemment avec Hilary Galbreaith). Ça rejoint bien sûr des questions d’appropriations, mais j’ai l’impression que la permissivité que je m’autorise vient surtout de ces expériences d’organisations d’expositions. Et ça me manque parfois, j’ai quelques regrets, au Doc je voulais montrer le travail de Benjamin Swaim, mais je n’ai pas eu le temps de le faire. On devait aussi organiser une exposition collective avec Jean-François Maurige, qui s’est annulée pour des raisons pas très glorieuses… bref à suivre j’espère.


Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet




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