Etienne Bossut, né en 1946 à Saint-Chamond. Vit et travaille à Rennes.
Les sculptures d’Etienne Bossut nous sont familières. Le plus souvent, elles ressemblent à des objets de la vie quotidienne, actuels ou légèrement vintage. L’explication est simple, le mobilier et les accessoires sont prélevés sur une période chronologique précise, de 1946, date de naissance de l’artiste, à aujourd’hui. Ce-faisant, elles deviennent les témoins de notre époque et nous permettent de l’éprouver pleinement. Moulées en polyester (plastique), les sculptures laissent visible les traces du processus de réalisation. Jointures/coutures livrent au spectateur les étapes de fabrication pour lui permettre de saisir la réalité de l’objet auquel il fait face. Elles aident à comprendre ce que le regard n’arrivait pas à discerner. Il n’est pas question de ready-made duchampien, au contraire, tout est fait à la main et met en avant une dimension artisanale de la production sérielle. Ce savoir faire et ce retour à la fabrication d’atelier s’oppose ouvertement à la société industrielle. L’œuvre se joue ici de sa propre apparence et de ces modes de représentations. La sculpture alors, s’apprécie dans l’espace du corps mais aussi celle de l’esprit lorsque l’on s’aperçoit du trouble que les œuvres produisent. Les titres aident à saisir leur teneur et apportent un degré supérieur de lecture, plus conceptuelle que formelle. Ils remettent en question l’esthétique superficielle d'une image au profit d’un étrange souvenir, celui d’un événement tellement ancré en nous, que paradoxalement, il ne semble jamais avoir eu lieu.
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Tu es le premier artiste interviewé pour La poursuite du cool. Avant de commencer, pourrais-tu définir le cool ? Que représente ce mot pour toi ?
Je pense que «cool» définit une légèreté d’esprit, proche de la poésie, en contradiction avec notre époque si obsédée par le temps, le faire, «faire vite», ne pas perdre son temps. Aussi à la question posée «Aujourd’hui qu’as-tu fait ?» j’aime bien répondre, «RIEN». Rien est actuellement un luxe. Il faut toutefois se méfier du mot cool, avec on peut bien faire naufrage.
Dire que tu ne fais «rien», c’est s’attaquer à la «valeur travail». En reprenant l’idée de Paul Lafargue (cf le droit à la paresse), comment est-il possible aujourd’hui de se revendiquer de la jouissance et non de la souffrance ?
Le verbe s’attaquer semble trop ferme pour moi qui suis un doux rêveur. Je pense qu'être artiste c’est voir le temps venir et je prends le mien. Je préfère admirer ou évaluer la valeur du travail ou du non-travail d’une œuvre d'art.
Il y a beaucoup de dérision et d’humour dans ton travail, ce n’est pas un travail uniquement basé sur l’appropriation des formes. Comment t’apparait le choix des formes à mouler ? Ce sont les qualités formelles, symboliques ou sémantique qui te séduisent ?
Ces formes apparaissent par hasard au gré de mes observations, rêveries, envies, et bien sûr possibilités. Il y a de l’humour dans mon travail mais pas du tout de dérision.
Quelle est ta limite en matière d’idée ? En moulant en plastique des objets qui le sont déjà, on sent une approche tautologique qui va a la rencontre du spectateur. Qu’en est-il pour les objets qui ne le sont pas ? Fais-tu une différence entre ces deux cas ?
Il n'y a pas de limite et pas de différence. D’un côté, il y a les objets que je rencontre et qui m’inspirent. De l'autre, les choses que j'ai toujours aimé, les automobiles, les sièges design, les fruits etc...
La notion de production m’intéresse tout particulièrement pour La poursuite du cool. Tu te situes dans notre époque de grande production, pour autant, tu réalises à la main des objets initialement usinés. Ton corps d’artiste/artisan s’oppose à la production de masse. Il semblerait que tu souhaites ralentir le temps et paradoxalement l’étirer puisque tes œuvres survivront à leurs modèles. Quel rapport au temps entretiens-tu ?
C’est peut être l’essentiel de mon travail, me placer en tant qu’artiste, comme un observateur de la vie courante, en y participant, modestement, en bricolant dans mon coin pour laisser une trace, une trace parallèle à l’industrie, pour la copier avec mon œil malicieux.
A quel moment as-tu voulu faire de cette méthode (moulage polyester), un système de production continu ?
J’ai découvert le polyester lors de mes études au beaux-arts de Saint-Etienne et j’arrêterais lorsque ça ne me plaira plus.
Aujourd’hui, face à l’écologie et les matériaux recyclable, quelle est ta position sur le plastique ?
J’observe notre planète qui se dégrade. Je pense un tout petit peu faire partie de cette pollution, (mais plus vraiment pour très longtemps).
Les couleurs que tu utilises déréalisent parfois certains objets, comme les douilles d’obus. Cette attirance pour les couleurs très vives et très pop rajoute un aspect supplémentaire au travail du sculpteur, ici intervient aussi celui du peintre non ? Tu parles souvent du pop-art, tu peux revenir sur ton attirance pour ce mouvement ?
Le Pop-Art que j’ai découvert au début des années 70, a été comme une nouvelle page, tellement rafraichissante, époustouflante, que je ne pouvais pas passer à côté. Sans doute que ses couleurs m’inspirent toujours, mais mes couleurs ne sont pas si vives que ça, j’aime beaucoup les mélanges, un peu au pif.
Comment as-tu envisagé les différents courant qui ont suivi le pop-art ? (Art minimal, art conceptuel, land art, performance )
Je pense être plus près du Minimal et du conceptuel que du land-art. Quant aux performances, je ne m’y intéressait pas vraiment. J'ai découvert récemment un travail vraiment étonnant, produit par deux femmes, Aurélie Ferruel et Florentine Guédon.
Duchamp avec la pelle à neige, Malevitch ou Rodtchenko avec les monochromes, Magritte avec la pipe, Brancusi avec les pvc, l’expressionnisme abstrait avec les skis, Cadere avec les bottes, Warhol avec les matelas gonflable, Damian Hirst avec les tam-tams. Ton travail dresse un bilan de histoire de l’art du XXe siècle. Est-ce important pour toi de jouer avec ces artistes emblématiques ? Comment considères-tu ton approche ?
Je ne peux pas les ignorer, cet environnement m’inspire. Je suis un copieur.
Tes titres sont toujours à la recherche du trait d’humour ? Ils démultiplies les sens de l’oeuvre. Presque conceptuels, tu te joues même du sempiternelle « Sans titre » en l’appelant «Sans aucun titre» ? A quel point peut-on dire qu’il font partie de l’oeuvre ? D’ou te viens cet attachement au trait d’esprit ?
Oui, ils font partie de l’œuvre, et surtout ça me permet de les stocker dans ma mémoire défaillante. Parfois c'est leur nom propre qui sert de titre : «néons», «pelle à neige», «citrons». D'autres fois, ils sont plus alambiqués : «Parthénon Bidon» «Chaque matin» «Pchittt…».
Tu fais du monumental mais par assemblage de petites pièces. Les bambous de Tam-tam jungle par exemple ont une certaine envergure, néanmoins ils résultent de l’assemblage d’un objet de taille moyenne. J’aimerai que tu développe cette relation à l’objet. En quoi finalement, le monumental reste à taille humaine et qu’elle importance cela revêt-il pour toi ?
Faire à la main du monumental, c’est forcement ajouter des choses, mais mon travail n’est pas monumental, par exemple pour la sculpture «Tam-Tam Jungle» à Besançon, je suis resté un peu en dessous du toit de ce beau bâtiment de Kengo Kuma, question de proportion.
Je n’ai pas parlé de ta pratique du dessin, tu voudrais en dire un mot ?
C’est un peu comme avec les titres. Je cherche les idées avec et je les refais sans arrêt.
Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet