Florent Dubois est né en 1990 à Besançon.
Il vit et travaille dans la vallée du Doubs.
Entre peintures, dessins, imprimés et céramiques la production de Florent Dubois est autant exubérante que prolifique. Les influences sont variées et les imageries dont il se sert sont sans cesse remises en jeu ou en relation. Les formes toujours très colorées se déploient dans des displays et scénographies ambitieuses et généreuses. Florent Dubois enseigne aux Ateliers de Sèvres à Paris et enseignait à l'ESAM de Cherbourg jusqu’en 2023.
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Comment peux tu définir le mot cool ? Dans ton langage habituel a quoi l’associes-tu, et quelles sont les choses que tu pourrais qualifier de cool ?
J’associe le mot cool aux vêtements mais dans mon langage plastique je remonte le fil et je pense aux peintures d’Andy Warhol et d’Alex Katz dont le texte sur le cool est assez motivant.
"Coolness is something that artists of all generations admire—cool in the sense of detachment, but [also] cool in the sense of hip. » ALEX KATZ
Mais « Cool » est un mot intraduisible pour les français. « Stylé » ne marche pas vraiment, agréable et rafraichissant non plus. Cool c’est comme « duende », impossible à traduire. C'est un mot sans équivalent. On pourrait conclure par soit on l’a/l’est, soit on ne l’a/l’est pas.
Souvent on associe ce vocabulaire à celui d’un adolescent. Je crois savoir que tu travailles actuellement sur un film qui serait une animation de tes dessins avec des discussions de jeunes personnes prélevées sur des forums internets. Je me demande en quoi associes-tu tes dessins à cet âge précis qu’est celui de l’adolescence et en quoi celui-ci t’intéresse t'il ?
Oui absolument je travaille à l’écriture d’un dessin animé qui j’espère verra le jour fin 2024. Il s’agit d’une sorte d’hommage à Tom & Jerry et à l’humour ultra subversif de Tex Avery. Dans ce dessin animé j’essaie de questionner le rapport identitaire et la construction de soi au sein d’un groupe, à travers la mise en scène, le self-design et l’usage des identifiants numériques à l’adolescence. Le film parle des problèmes du quotidien, vécus et évoqués depuis le point de vue d’adolescents majoritairement masculins. Cette culture vernaculaire adolescente « scrutée pour découvrir ce qui est caché, ce qui est refoulé ¹ » est ce qui m’intéresse ici.
Comment la construction de la masculinité des jeunes hommes s’opère-t-elle entre postures viriles et émois adolescents et post-adolescents, au travers des identités éphémères et anonymes permises par internet ? C’est moi-même qui double les personnages de ce dessin animé en prenant plusieurs voix et je pense même pousser la chansonnette pour certaines parties.
Le dessin adolescent est très intéressant car il est comme le curseur d’un compteur geiger qui va très vite et qui en terme de positionnement artistique représente cet étrange âge de la vie. Il est mobile. Il passe parfois d’un semi-académisme copiste, à un goût régressif (Pokémon et autres créatures) auxquels s’ajoute parfois l’expression d’un goût graphique singulier. Le curseur oscille sans cesse entre les trois.
Il y a aussi la lecture du livre This Young Monster de Charlie Fox,ilm’a beaucoup inspiré pour ce projet. Dans cet essai, l’auteur s’intéresse à comment la question du monstre façonne notre regard, il y fait des parallèles entre le vocabulaire appliqué à la description du monstre et celui du corps des adolescents.
Artiste et professeur, tu es sans cesse entouré par des artistes plus jeunes en formations. Est-ce que cela participe à ton rapport à la création ? Autrement dit, il m’intéresse de savoir comment ta vie quotidienne influence t’elle ta pratique artistique ?
Oui bien sûr. J’écoute beaucoup les jeunes sur leurs goûts et leurs aspirations. J’y vois des choses superbes comme parfois un peu triste. Je sens par exemple un désintérêt général pour les études d’art mais en même temps j’observe une fréquentation plus haute des lieux d’expositions surtout lorsque des événements y sont organisés.
Quant à ma vie quotidienne, elle influence fortement ma pratique. J’ai besoin d’un certain train train pour créer, de temps et bien sûr, d’espace mental. Beaucoup de gestes plastiques que je mets en place sont liés à des trouvailles, des objets trouvés, des images trouvées. Il faut donc rester disponible pour dénicher, intercepter.
En ce moment ma vie est découpée en deux. Un temps d’enseignement en début de semaine à Paris et le reste du temps l’atelier dans le Doubs. Cela va faire 10 ans que je suis sorti des Beaux-Arts de Lyon. J’ai récemment changé d’atelier et suis retourné à celui que j’ai toujours eu chez mes parents. Je redécouvre une certaine liberté après avoir travaillé dans une ambiance très toxique. Je retrouve plein de vieux projets abandonnés et oubliés, malmenées par des nouvelles envies plastiques pressantes. Pour l’instant je passe beaucoup de temps à prendre des notes, terminer des livres jamais ouverts, visionner des listes de films jamais vues, c’est plutôt studieux. Je postule à énormément d’appels à projets et de résidences car cela fait longtemps que je n’ai pas fait de tels projets. Je travaille aussi sur mon site internet en collaboration avec ma soeur, Elisa Dubois.
Récemment paraissait aux éditions Réalistes le recueil CHIPIE, avec plus de 200 de tes dessins répertoriés. Comment ce projet est-il né et comment as-tu envisagé ce travail éditorial ? Tu as souvent l’habitude de faire des accrochages foisonnants, le livre serait-il un peu la version XXL d’un accrochage idéal ?
Le projet est né de l’envie d’éditer mes dessins en un objet, presque comme on édite un moulage. J’aime beaucoup travailler sur des projets de nature temporelle différente et le livre a un timing très singulier qui fait qu’il peut cohabiter avec plein de projets en parallèle. Dans Chipie le dispositif graphique est simple (des suites de vis à vis) et effectivement cette manière de faire est proche d’un accrochage. Les dessins se succèdent dans une cadence rapide avec des micros-éléments perturbateurs (les dessin écrits et les images trouvées rehaussées). J’aime beaucoup utiliser le terme « horizon de personnages » car cela me fait penser à une troupe de comédiens qui saluent mais aussi au train fantôme où l’on est assis et où les personnages défilent. La sélection de dessin s’est faite dans la durée avec des oeuvres finies, d’autres pas, je trouve toujours ça très beau de voir des dessins pas terminés. Du côté des éditions Réalistes, Charle Ameline (un des cofondateurs) a énormément travaillé le graphisme et m’avait dit dès le début « tu veux un livre replet et dense mais je ne suis pas à Cherbourg dans ton atelier et je ne sais pas ce que tu as fait avant. La maquette tu dois la faire seule, j’interviendrais après. » J’ai cherché et retrouvé des dessins qui datent de mes études, des sortes d’amorces de ce qui allait sans le savoir, devenir mon style graphique.
En parallèle du dessin et de la peinture, on connait surtout ton travail prolifique de la céramique ; quel liens tisses-tu entre tes dessins et tes céramiques ? Comment conçois tu le dialogue de ces médiums entre eux ?
Les deux disciplines sont furieusement liées. Les dessins se déchaînent en vis à vis des céramiques. Ils jacassent. Ce qui me plaît beaucoup dans le dessin c’est sa capacité très facile à être hybridé et fragmenté très rapidement. C’est un médium qui souvent part de rien ou de peu (une feuille, un crayon) il se prête facilement à raconter des histoires car il n’y a pas forcément l’idée d’un tout.
La céramique c’est autre chose, c’est une méthode en soi. C’est assez beau cette question de la méthode céramique car elle façonne nos envies et notre regard. De plus, elle permet d’abolir des frontières parfois encore trop arides entre qui fait le pot qui fait la sculpture car le degré de séchage, la courbe de cuisson, l’épaisseur de l’émail seront les mêmes que l’on soit artiste ou artisan. En termes de pratiques, les deux ont en commun la manipulation de millions de minis variables qui composent ensuite un ensemble (épaisseur du trait, épaisseur du colombin, aplat de couleur, aplat d’émail).
Des monstres, des doudous ou des personnages de cartoon, mais aussi parfois des objets usuels, que recherches tu dans ces sources d’inspirations ? Quel place leur donnes-tu dans notre monde et que disent-ils ?
Cette question de l’inspiration est importante. Elle est presque candide voire anachronique dans mon travail car je collectionne les images ou les objets qui m’inspirent. Je recherche un élément qui stimule l’imagination, qui lance ma curiosité, qui motive mon travail. Je ne saurai pas bien expliquer quand vient cette envie plastique mais un jeu de séduction s’opère entre l’image trouvée et la projection plastique que je peux y voir. Je fais des prélèvements dans des choses que je vois.
Tu me faisais une remarque assez juste, que j’étais le seul à pouvoir toucher mes céramiques. La capacité mimétique de la céramique vis à vis des autres matériaux et quasiment infinie. Je trouve que les matières molles comme l’argile se prêtent mieux à la fiction. De plus, la céramique en terme de pratique convoque tout un imaginaire de la métamorphose (le feu, le four, le mou qui devient dur, les changements de couleurs…) Finalement, je crois que moins la céramique ressemble à de la céramique et plus je l’aime.
Plus précisément sur la céramique, comment conçois-tu ce travail dans l'histoire de l'art et de l'artisanat ? A quelle formes ou motifs de la culture populaire ou de l’art folk se réfère t’il et quel est ton lien avec les tradition vernaculaire ? (Face Pot, Sylvac, les potiers d’Accolay )
J’aime beaucoup célébrer ou du moins rappeler le contexte quotidien dans lequel on rencontre la céramique. Une certaine gaieté ou joie de l’objet aimable en céramique. J’essaie d’intégrer dans mon travail ces formes de céramique aussi omniprésente (nous avons tous un mug drôle et chargé de souvenir) que calomniées (ne correspondant pas à l’histoire canonique de la céramique). En ce moment, je produis à l’aide de moules mes propres bibelots. J’ai trouvé ces moules chez des anglais installés en Saône-et-Loire qui rentraient au Pays. Cela fait un moment que je chine de très petits bibelots que je classe par famille. Il y a les fruits et légumes, les animaux marins, les végétaux etc etc… J’intègre ensuite ces bibelots dans, ou plutôt sur, mes céramiques car ces bibelots étant trouvés je n’ai pas une grande liberté plastique dans leurs manipulations. Je me sers simplement de l’émail comme d’une colle et je raconte ensuite des petites histoires par association d’idées : un potiron + un chat noir = la sorcellerie ; un crabe + un chapeau de pirate = un naufrage. La liste des micros histoires est infinies. Ce travail a ceci de particulier, que pour la première fois je fabrique mon bibelot, je peux donc le modifier à ma guise, l’écraser, le couper, le coller, le scinder. Toutes ces actions nouvelles me fontt réfléchir sur comment on fait un objet en céramique et je dis bien objet et pas sculpture. C’est un véritable changement pour moi. Ces céramiques seront présentées au MBA de la Chaux-de-Fonds pour l’exposition les Temps de Mars. https://www.mbac.ch/expositions/
On assiste depuis quelques années à une vrai montée en popularité de la céramique en tant qu’artisanat mais aussi comme médium chez de nombreux artistes. Pourquoi de plus en plus de personnes se tournent vers la céramique et penses tu que cela à un impact sur la manière de regarder ton travail ?
La céramique est une pratique inépuisable, d’une infinie variété ce qui est assez grisant car on peut s’y engouffrer par de nombreux biais. Extrêmement matérielle elle est un bon contrepoint aux écrans mais également à une idée peut-être trop hors-sol de l’art. Dans le très intéressant Shapes from out of nowhere, que je traduis gauchement par « des formes surgissant de l’inconnu » Glenn Adamson revient sur une histoire de la céramique qui s’oppose à une notion trop unilatérale de la modernité. C'est le refus de la symétrie du tour par le modelage, des formes boursouflées opposées aux formes lisses, des couleurs complexes opposées aux aplats, la campagne contre la ville . Le titre de l’ouvrage d’ailleurs est particulièrement éloquent, même si il est dur à traduire.
S’intéresser à la céramique c’est également s’intéresser aux objets qui nous entourent, comment on les manipule, comme on les utilise, comment on les aime, comment on les collectionne, comment on les réparent…
Au sein de l’art contemporain, c’était une pratique longtemps reléguée aux oubliettes. Je pense qu’il y a donc quelque chose de presque licencieux à se plonger dans des archives ou des savoir-faire peu montrés. C’est également un médium qui demande un engagement total.
Tu as récemment fait l’objet d’une bourse Culture moves Europe pour étudier le carnaval belge. As-tu trouvé ce que tu y cherchais ? Que t'évoque le masque et la grimace, le renversement des valeurs ? Penses tu que ce voyage de recherche insufflera un vent nouveau dans ton travail ?
Culture moves Europe est un programme très intéressant qui permet aux artistes d’effectuer un voyage d’études dans un pays membre de l’UE. J’ai effectivement pu assister au Carnaval de Binche (Belgique) sur toute sa durée et j’ai eu accès aux archives du Musée du Carnaval et du Masque. Je regarde beaucoup les images que j’ai rapporté de ce voyage mais je ne sais pas encore comment les réinjecter dans mon travail. Cela va venir. Je pense qu’en complément de céramiques modelées, des images imprimées peuvent être une bonne pépinière de dialogues.
Les figures molles et « sans histoires » (hormis celles que la personne qui regarde veut y projeter) pourraient ainsi dialoguer avec des formes codifiées, historiciées liées à des gestes et spécificités locales. Le Carnaval de Binche est un bon exemple car il est extrêmement codifié en terme de costume, de cadence, d’airs joués, de protocoles… Il est classé à l’UNESCO et doit donc respecter les règles immuables qui l’ont vu classé.
Que penses tu des artistes belge de manière générale ? J’ai toujours pensé que quelque chose de cool avec une sorte de transgression naturelle habitait la création belge que les artistes français n’ont jamais su revendiquer ; de James Ensor à Eric Duyckaerts en passant par Magritte, Marcel Broodthaers, Jacques Lizène ou encore Walter Swennen. Est-il question d’une transgression dans tes personnages, dans les surenchères défigurées naïves et infantiles ?
Oui cool est approprié. Il y a effectivement un fort tropisme Belge voir même Benélux dans ce que je regarde car je pense également à René Daniëls, Lily Van Der Stokker, Folkert de Jong et Michel Majerus. Walter Swennen est un génie. Le seul français qui aurait presque pu y rentrer est Martial Raysse. J’aime cette peinture mystérieuse, sèche et austère mais en même temps très généreuse en terme de sens. Un certain équilibre entre nonchalance et bizarrerie. J’aime beaucoup quand une oeuvre d’art est indescriptible plastiquement parlant comme Frame and Framed de Mike Kelley ou que l’oeuvre est complexe en terme de sens comme des sculptures de Rachel Harrisson, de Isa Genzken ou de Haim Steinbach.
Cette question de la transgression va être abordée très frontalement dans le dessin-animé sur lequel je travaille car pour le coup les personnages seront exactement ce que tu décris, défigurés, naîfs, infantiles et too much.
Dans la biographie « James Ensor, le peintres des masques » de Emile Verhaeren, l’auteur écris : « James Ensor n’a vécu pendant longtemps qu’avec des êtres puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres »… L’auteur ajoute « ces êtres sont accompagnés par des railleries faites cloches, des colères faites chienlits, des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits squelettes ». Toutes ces émotions se retrouvent dans ton travail et nous amène à te questionner sur la relation complexe entre le mignon et l’effrayant. Pourquoi, comment et dans quel but ?
Le rapport entre mignon et effrayant est un petit peu comme le jeu de la marguerite ou « à la folie » est trop proche de « pas du tout » pour que tout se passe bien. J’aime beaucoup cette idée de « jouer à se faire peur » ou de la « douce sortie de soi ». On parlait des dessins d’adolescents tout à l’heure et c’est quelque chose qui m’amuse énormément mais que je n’arrive pas bien à nommer. Il y a un tropisme « horrifique » dans certains dessins d’ados mais c’est une horreur convenue, faite de cartons pâte. C’est un doucereux train fantôme. On est pas dans la figure classique de l’horreur non plus, pas de Dracula, de Frankenstein, ou de bête du Gévaudan. C’est une horreur rassurante, une horreur molle car déjà appréhendée visuellement dans des mangas par exemple. Alors que l’horreur est censée être une grande inconnue.
Il y a cette oeuvre géniale de Sturtevant au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris ou tu rentres dans un train fantôme et ou tu tombes sur des oeuvres de Paul Mc Carthy ou de Marc Quinn qui joue de cette idée entre l’horreur convenue du train fantôme et l’horreur visuellement moins rabattue des oeuvres. Je trouve que l’idée d’une oeuvre effrayante est assez délicieuse.
Dans mon top des oeuvres effrayantes il y’a la Raie de Chardin, le chat mort de Guéricault, de nombreuses pièces de Jordan Wolfson ainsi qu’un ensemble de vidéos de Yael Bartana. Les oeuvres de Cady Noland m’ont toujours terrifiées également.
En 1993, dans le cadre de la manifestation internationale d'art contemporain Sonsbeek 93, l'artiste californien Mike Kelley a réalIsé l’exposition "The Uncanny » dans laquelle il explore les thèmes de la mémoire, du souvenir, de l’horreur et de l’anxiété. Le thème principal reposait sur la question de l'inquiétante étrangeté. Cette dernière formulation apparait dans les écrits de Sigmund Freud et est un sentiment ressenti en présence de représentations figuratives humaines familières et desquelles émanent un aspect inquiétant. Mike Kelley aborde cette notion a l’aide d’objets très personnels et de formes humanisées. Dans la peluche ou le doudou, objets transitionnels, on aborde la notion du double ; une transposition du « soi » qui pourrait être un autre. Ce faisant je me demande qu’en est-il de la question du double et de l’autoportrait dans tes créations ?
On m’a souvent posé cette question et je dois avouer que je ne l’ai jamais bien comprise. J’ai l’impression que l’on attends une réponse sur mon enfance soit merveilleuse, soit sadique.
Deux choses me plaisent beaucoup dans les doudous. La première est un peu technique en terme de vocabulaire d’ésthétique c’est le degré d’iconicité ou l’on se rends compte immédiatement que les doudous sont des objets courtois, authentiquement faux. Très peu on la taille réelle ou la couleur de l’animal qu’ils représentent. La série de films Toy-Story est très intéressante sur ces questions. Certains personnages soulèvent cette questions de qu’est-ce qu’un jouet ou plutôt qui qu’est ce qui « fait jouet ». Forky (Toy Story 4) se décrit comme une poubelle et non comme un jouet, Bo-Beep la bergère (Toy Story 1) est à la base un ornement de lampe, les Aliens (Toy Story 1) n’ont pas conscience d’être un jouet. Les questions que se posent les jouets-personnages sont je pense celles que je me pose également, non pas si je me demande si je suis un jouet ou une bergère mais comment je peux me l’approprier par la peinture ou le dessin.
Une autre figure m’amuse beaucoup lorsque je pense à ton travail, il s’agit de celle de Saint Antoine. Il est présenté comme le saint protecteur des animaux, mais il est surtout connu pour les terribles tentations avec lesquelles le Diable le tourmenta pendant des années l’entourant d’une faune de petits monstres farceurs. Pourrais ton parler des célèbres tentations de Florent Dubois ? Un être persécuté et entouré par des visions qu’il tente d’archiver/d’illustrer ? Finalement, lorsque tu te vois entouré de toutes tes créations, est-on plus proche du carnaval ou de la géhenne de démons ? Est ce plutôt la représentation d’une famille ou de luttes intérieures ?
Tu m’expliquais que les tentations de St Antoine ne sont finalement pas liées à des questions de désirs charnels mais à des créatures qui viennent enrayer son travail intellectuel. Oui l’idée de la série infinie, de la famille, de la petite société est très présente dans mon travail. Tous les médiums que je pratique sont sériels. On parle rarement d’un dessin, majoritairement de séries. Idem pour la céramique qui est un médium sériel, on ne remplit pas un four pour un objet en terre. Le fait d’avoir une pratique polymorphique, généreuse et foisonnante viens du fait que je travaille dans un flux permanent d’images, de couleurs, de textures et de sources d’inspirations. Ce mode correspond à la nécessité d’être toujours dans un travail expérimental, malléable, en devenir, mais aussi à l'importance que j'accorde à la composition, à l'assemblage et à la juxtaposition. Je vérifie en permanence si chaque élément que j’imagine fonctionne avec l'ensemble et j'essaie de trouver plusieurs combinaisons et des formes d'ornementations mutuelles entre les différents éléments. Je réalise les pièces en parallèle, me concentrant sur leur présentation simultanée et la coexistence de l’ensemble. On a souvent décrit mon travail comme développant des univers. C’est un grand privilège des artistes de pouvoir faire ça, de tenter des collusions inédites.
Je me rends compte maintenant de ce que cela peut vouloir dire et des ses limites.
Dans mes grandes inspirations il y a ce micro courant qui s’appelle le scatter art ou des objets semblent nonchalamment avoir été disposés et oubliés au sol. Deux oeuvres très représentatives sont The Hellfire Club Episode of The Avengers de Karen Kilimnik et Scatter Piece de Robert Morris.
Entre doudous, montres, démons, marionnettes et pantins, peu importe finalement mais quid de la question des titres ? Donner un nom aux choses peut signifier beaucoup. Comment procèdes-tu pour nommer tes oeuvres ?
Les titres sont très très très importants. Ils renseignent sur le provenance des objets que je manipule ou sur le lecture que j’en fais. C’est un plaisir que de nommer. Pour Chipie, j’avais en tête l’idée du goûter de petits enfants, du repas gargantuesque, « de la collation superbe ». Cette idée vient de la littérature du XVIII ou j’ai été inspiré par les longues litanie gourmandes de Madame D’Aulnoy dans ses Contes de Fées par exemple : «puis ses sœurs arrivaient chargées d’oranges de Portugal, de confitures, de sucre» ², « des bassins pleins de dragées, et plus de vingt pots de confitures » ³, des fruits : abricots, oranges, citrons, cerises ou pommes dont certains poussent dans des « arbres confits » ⁴. Des « collation superbe » ⁵, « un grand souper délicat et bien entendu » ⁶, « un repas magnifique » ⁷.
Avec humour, certains dessins ont quant à eux des noms de charcuterie pour ceux et celles qui préfèrent le salé. Un trop plein d’opulence ironique et comique. Pour les céramiques je fais des clins d’oeil à l’histoire de la céramique soit en nommant de noms de villes de la céramique (Limoges, Sèvres…) soit en jouant avec dérision de noms de matières précieuses qui peuvent évoquer des prénoms Cashmere, Angora, Béryl, Glitter etc etc. Pour d’autres dessins, je joue avec l’idée qui s’appelle le caritatisme. J’aime beaucoup l’idée du titre tellement maniéré et personnifié qu’il en devient grotesque tout en restant très descriptif comme Joli chaton fondu (qui est le dessin d’un joli chaton fondu) ou Pinata Paresseuse (qui est une pinata qui semble paresser)
* caritastime : il consiste à désigner les choses par un diminutif ou à substituer aux prénoms de l’état civil des gens qu’on aime des surnoms improbables.
Lors de notre dernière rencontre, tu me parlais de ton envie d’écrire et d’illustrer un livre sur la Comtesse de Ségur. On trouve dans ces écrits des thèmes qui te sont chers, de la jeunesse, de l’éducation et de la morale mais pourquoi cette envie ?
Oui cela fait un moment que je pense à un tel projet. Ce qui m’intéresse le plus dans la figure de la Comtesse de Ségur et la figure d’altérité qu’elle représente. C’est une femme, catholique, âgée (55 ans lors de son premier roman), étrangère (la comtesse est russe), aristocrate (la révolution française est passée par là) qui dresse un portrait exact des moeurs et de la vie de tous les jours dans la France bourgeoise provinciale du XIXeme. L’autre axe qui m’intéresse fortement est l’invention de la star littéraire, la fabrication par les éditeurs de l’auteur de best seller et les moyens de contournement et de subversions inventées par Sophie Rostopchine pour continuer à écrire. J’aime également l’ambiance de ses livres où derrière les rubans et les promenades en calèches traînent souvent un cadavre derrière les tonneaux au fond de la cour.
Florent Dubois, aimerais-tu être une star ? Je ne crois pas qu’il y ait de stars dans notre milieu. Je veux dire par là des artiste avec autant d’exposition médiatique que celle des chanteurs ou des sportifs. Quand je vois combien notre milieu est politisé, je me pose aussi la question de notre véritable influence sociale. Parfois il me semble qu’elle a un impact sur le réel mais le plus souvent je la trouve cantonnée à notre monde et nos réseaux. En cela, je la trouve totalement illusoire et elle me désespère. Qu’en penses tu ?
Oui, moi aussi je me pose des questions sur la réelle capacité des artistes à intervenir dans la vie. Souvent les artistes sont coupés de la vie intellectuelle même locale. Le bâton de parole arrive rarement jusqu’à nous même si il tourne autour de la table. Beaucoup de choses me précoccupent sur notre milieu comme la disparition des Artist run space, les financements des écoles d’art, une hiérarchie parfois très pesante, le manque d’expositions de groupes ou les programmations qui durent de plus en plus longtemps surtout en province. (Même si une exposition tous les 3 mois c’est du gâchis)
J’aimerais pour avoir la capacité réelle de faire s’infiltrer l’art dans le quotidien. De pouvoir être autonome dans le financement de mes projets et comme Sophie de Ségur trouver des subterfuges et des moyens de contournements et de subversions. Il y a des stars dont le rapport à la célébrité m’intrigue Dolly Parton, Tex Avery et Lisa Frank par exemple. Tex Avery a été découvert tard, tout le monde s’en foutait un peu de ce qu’il faisait. Beaucoup de journalistes pensaient qu’il n’existait pas. Dolly est au choix, soit Warholiene, soit un cyborg de Donna Haraway. Lisa Frank est complètement déshumanisée.
Le mot de la fin est pour toi :
COOL RAOUL
¹ « Mike Kelley, interview by Eva Meyer-Hermann » dans Ann Goldstein et Eva Meyer- Hermann (dir.) Mike Kelley, Munich, Prestel, 2013, p. 372 (TdlA).
² Madame d’Aulnoy, Finette Cendron, 1697
³ Madame d’Aulnoy, Gracieuse et Percinet, 1892
⁴ Madame d’Aulnoy, La Biche au bois, 1698.
⁵ Madame d’Aulnoy, La Belle aux cheveux d’or, 1882.
⁶ Henriette-Julie de Castelnau de Murat, Le Parfait Amour, 1690.
⁷ Madame d’Aulnoy, Serpentin Vert, 1698.
Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet