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Conversation avec Hugo Pernet


Hugo Pernet est un artiste peintre et poète français résidant à Dijon et diplômé de l'École régionale des beaux-arts de Besançon en 2006. Son œuvre picturale a évolué d'une abstraction géométrique, nourrie par le minimalisme et l'art conceptuel, vers une figuration intégrant des éléments du vivant, notamment de la faune et la flore.  En parallèle, Hugo Pernet publie régulièrement de la poésie avec notamment les recueils "Poésie simplifiée" en 2011, "Suite Logique" en 2021 et "Canis minor" en 2023.


>>> Première question, comment définirais-tu le mot cool ? Qu’est-ce que ce mot signifie pour toi? Que contient-il de résistance, de légèreté, ou d’attitude face au monde?


J'ai un tempérament angoissé et exigeant, donc je suis loin d'être cool, en tout cas pas avec moi-même, mais paradoxalement c'est la sensation que je recherche dans ma pratique, la sensation hypnotique dans la réalisation doit se reporter sur l'impression d'évidence ressentie par le spectateur. 


>>> Ta peinture a beaucoup évolué au fil du temps. On sent un glissement d’une forme très épurée, concrète ou conceptuelle vers des images plus douces, plus figuratives. Comment cette évolution s’est-elle opérée?


C'est vrai qu'il y a un glissement permanent vers quelque chose d'autre, une transition. Ce qui est sûr c'est qu'il y a une implication émotionnelle toujours plus forte, qui est mieux "retenue" par les images, par la figuration. La forme est parfois douce, parfois incisive, parfois presque désincarnée. Mais elle correspond toujours à une vérité, à une manière d'aborder une vérité. 


>>> Quel rôle jouent/jouaient pour toi les règles, les protocoles, les exercices, les contraintes dans la peinture? Ton regard sur ces cadres a-t-il changé avec les années?


On ne peut pas présupposer qu'un tableau va être réussi parce qu'on l'a décidé ainsi. Je ne fais que du cas par cas. Parfois il faut lâcher prise et improviser, parfois il faut se contenter de faire ce qu'on a prévu de faire, sans y ajouter d'intention. 

>>> Si on considère que tu t’autorises de plus en plus de liberté, que doit-on y lire ; un lien avec notre époque, avec des ambitions artistiques différentes, avec le temps qui passe, peut-être tout à la fois?

C'est une question que je me pose souvent. En ce moment j'ai une aversion pour les grands formats dans ma pratique, ils ne correspondent à rien, mais je me demande si je ne fais pas fausse route. Je suis parfois assez lent dans mes prises de conscience et de décision. 


>>> On parle souvent d’"éclectisme du style" pour décrire les changements de direction chez un peintre — la critique française aime citer Picabia comme figure tutélaire de cette liberté. Mais est-ce qu’il n’y aurait pas, derrière ces déplacements, quelque chose de plus simple, peut-être plus humble? Un rapport au geste, au plaisir de peindre, au changement comme forme de respiration.


Je ne sais pas si c'est une question d'humilité, pour moi c'est plus une question d'observation. La réalité se déplace tout le temps et c'est la phrase d'Héraclite, "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve". C'est important de remarquer ça, de le prendre en compte.


>>> Tu es peintre mais aussi poète. Ces deux pratiques communiquent-elles entre elles? Ou bien te permettent-elles de respirer dans des directions différentes?


Elles communiquent beaucoup. Dans la manière d'aborder le tableau et le poème individuellement puis dans des ensembles que sont les livres et les expositions. Dans le rapport très intime et affectif que je peux avoir avec, et avec le travail des autres. 

>>> Tu as co-fondé le lieu Bikini à Lyon et tu prends parfois, pour d’autres lieux la casquette de commissaire d’exposition. Comment cela a influencé ta propre pratique artistique ? Comment navigues-tu entre ces deux postures — celle qui produit et celle qui sélectionne et accompagne? Y a-t-il parfois des tensions, ou au contraire des zones de liberté inattendues?


Je n'ai fait le commissaire que très occasionnellement. De Bikini j'ai surtout retenu la position d'accueil, de partage avec le public. Les autres projets étaient plus personnels, dans les thématiques et les invitations, le plaisir de dessiner les contours d'une communauté aussi.


>>> Tu vis et travaille à distance du grand centre artistique parisien, à Dijon. C’est aussi une ville qui a son importance dans l’histoire de l’art contemporain français, avec le consortium. Qu’est-ce qui a nourri ce choix? Peut-on y voir une indépendance revendiquée vis-à-vis de la capitale?


J'y suis pour des raisons personnelles, ça n'est pas un choix qui manifeste une posture. Mais c'est amusant de remarquer que le simple fait de ne pas vivre à Paris est interprété comme une intention particulière. 


>>> Je reviens à mes histoires de peintures. Il y a chez toi, il me semble, un amour de la simplicité — mais jamais de la simplification. Une attention portée aux choses sans les alourdir, comme si chaque geste visait juste, sans insistance. Est-ce que tu dirais que ta pratique pourrait entretenir un lien avec le zen ?

Je pense ici au zen non pas comme style ou influence esthétique, mais comme une expérience directe de la réalité, une manière d’agir sans sur-ajout, sans justification, sans discours superflu — comme si l’acte créatif devenait une forme d’écoute, ou une présence silencieuse au monde.


Oui et non. J'ai beaucoup lu autour du zen, du taoïsme. Je suis très sensible à tout ça et à l'idée que ça n'est pas "exploitable".

>>> Mon professeur de peinture aux beaux-arts, François Perrodin, m’a un jour parlé de Shitao autrement appelé Citrouille Amère. C’était un peintre, calligraphe, poète et moine bouddhiste chinois du XVIIe siècle.  Il est célèbre pour avoir développé une théorie artistique très personnelle, notamment autour de ce qu’il appelait l’«unique trait de pinceau». Shitao affirmait que tout dans l’univers naît du «trait unique de pinceau». Il s’agit autant d’une métaphore cosmique et spirituelle que de l’expression d’une présence, d’une énergie vivante qui traverse le monde et l’artiste. Est-ce une pensée que tu connais? Et si non, qu’est-ce qu’elle t’évoque?


J'adore toutes ces histoires mais je suis aussi allergique à l'idée de les généraliser. L'unique trait de pinceau est peut-être valable pour un moine bouddhiste du XVIIe siècle qui peint à l'encre, mais certainement pas pour un peintre occidental du 21ème siècle. Je ne sais pas si tu as déjà lu "le secret de la peinture" de Wang Wei, le grand poète et peintre Tang. C'est à peu de choses près du Bob Ross dans le texte. 

>>> De l’histoire de citrouille amère, j’ai gardé l’idée que la peinture peut se vivre comme la trace esthétique du rapport à l’expérience. Autrement dit, peindre, c’est peut-être simplement être — une manière d’habiter le monde. Le trait, dans la perspective du moine citrouille amère, ne cherche pas à représenter, mais plutôt à manifester une présence — et cette manifestation, en elle-même, peut suffire. Est-ce que cette tension que j’essaie de formuler maladroitement t’évoque quelque chose dans ta propre pratique?


Que toute manifestation se suffise à elle-même, je suis d'accord. Mais il faut bien qu'un spectateur puisse faire quelque chose de cette manifestation. Je crois quand même qu'une peinture engage un minimum son auteur dans une relation avec un spectateur. 


>>> Aujourd’hui, il semble difficile de parler d’art sans convoquer, même en creux, une dimension politique. Si je tente un lien entre ton travail et la notion de cool qui m’intéresse (dans le sens d’une forme de résistance douce, passive, presque nonchalante), dirais-tu que ton travail s’en approche? Et si oui, à quoi ou contre quoi résisterait-il?


Je suis mitigé sur ce sujet. Faire de l'art, avec tout ce que ça engage quand on y va vraiment, pas pour le "cool" justement, c'est politique. Je comprends que tu ne l'entends pas dans ce sens, mais dans le sens d'une poétique. C'est sans doute important, mais dès qu'on parle de poétique on glisse dans la terminologie, donc j'ai l'impression qu'à cet endroit on ne peut pas en parler et être juste. 


>>> Je me demandais si tu étais un ancien skateur? Si oui, quel lien ferais-tu aujourd’hui entre ce rapport au mouvement, au terrain, à la chute… et ta pratique artistique?

Pas du tout. J'ai grandi dans un village dans lequel les routes n'étaient pas très fraîchement goudronnées. Ma carrière de skateur s'est arrêtée au bout de quelques semaines au premier poignet foulé. J'ai peut-être été un peu plus courageux en peinture. 


>>> Enfin, une dernière question un peu plus intime ou imaginaire : Si l’on devait presser la moelle de ce qui te compose, à quel film ou livre (et tu ne peux en choisir qu’un) ressemblerait-elle ? La réponse peut être sincère ou fantasmée — la réalité se trouvant souvent entre les deux. 


En ce moment, une histoire de Robert Walser. Dans le style de Robert Walser. Miniature, drôle, solitaire…


Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet






IMAGES:

  1. Portrait (© Tony Baghlali)

  2. Brigand (négatif), 27x22 cm, 2025

  3. Sans titre (d'après Tove Jansson), 2025

  4. Sans titre, 41x53 cm, 2025

  5. Tradduzione, 46x38 cm, 2025

  6. Musique pour les rats / music for rats, 38x46 cm, 2025

  7. Pond, 40x50 cm, 2025

  8. Sleeping Guard, 35x27 cm, 2025

  9. Cor, 60x80 cm, 2025

  10. Sans titre, 33x41 cm, 2025

  11. Upside down Black swan,73×89 cm, 2025

  12. Voluta musica, 90x60 cm, 2025

  13. À l'écart (d'après Karl Walser), 30x40 cm, 2025



 
 
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