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Conversation avec Yoan Sorin

Yoan Sorin est née en 1982 à Cholet.

Il vit et travaille à Marseille.

Si j'existe je ne suis pas un autre, 2014 ©Emile Ouroumov

Yoan Sorin est diplômé des beaux-arts de Nantes et des universités de Montréal et de Cuenca. Son travail peut prendre une multitude de formes. Ses peintures, sculptures et performances se côtoient aussi bien dans des espaces d’exposition que des espaces scéniques dont l’artiste modifie les usages et les possibles. Le plus souvent, les oeuvres sont inspirées d’objet domestique et cristallisent les notions de high et low culture.


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Tout d’abord, que signifie le mot cool pour toi ? Peux-tu l’employer pour parler d’une œuvre ou d’une exposition ? Te semble t’il assez précis ?


Pour moi, le mot cool me rappelle ma scolarité, où les professeurs me qualifiaient souvent d’élève nonchalant, avec une attitude trop cool. Par conséquent, j'imaginais le mot cool comme associé à l'expression «se la couler douce». Ensuite, j’ai compris que cette attitude pouvait s’apparenter à une douce rébellion insupportable pour l’autorité et j’ai donc continué à la cultiver comme moyen de défense. Finalement j’utilise plus souvent le mot «cool» comme une parade, ou une réponse hypocrite pour couper court à toutes explications et émotions.


Comment se développe ton travail et où naissent les thématiques qui le parcourt ?


J’essaye d’être dans un flux continu de réflexion artistique et je n’ai jamais l’impression de voir naître une idée. Ses réflexions passent souvent par le faire, et des croisements ou collages apparaissent instantanément. Je revendique une pensée de «trois petits chats» comme dans la chanson. Une pensée qui dérive, qui associe des réflexions conscientes à d'autres complètements intuitives.


Yoan Sorin, Slash Universe, vue d’exposition, CAC Brétigny, 2019. © Aurélien Mole

Lorsque l’on voit tes expositions et la profusion des œuvres présentées, on se demande si tu as une pratique d’atelier, avec certaines peintures et sculptures en stock ou alors, est-ce que ce sont les opportunités de monstration qui te permettent de créer ? Peut-on parler de ces lieux d’exposition comme autant d’ateliers éphémères ?


J’ai tendance à avoir une pratique de récupération, donc si je suis invité dans un lieu où de nombreuses chutes ou matériaux divers sont à disposition, il y a de grandes chances que de nombreuses nouvelles œuvres verront le jour. Mais je ne sais jamais ce qu’il va se passer lors d’une nouvelle invitation. Après, je transforme volontiers des travaux passés. J’adore l’idée de lieux d’expositions comme d’atelier, mais je crois que la bonne formule se trouve dans un rêve que j’avais fait il y a quelque temps où Laetitia Badaut Haussmann me disait «J’ai un atelier à l’échelle de ma vie».


Définis-tu des frontières dans ton travail ? Recherches-tu une cohérence particulière entre tes expositions ou vois-tu cette cohérence apparaître naturellement à posteriori ?


Je ne cherche pas particulièrement de cohérence et pour être honnête, j'ai toujours l’impression de faire ma dernière exposition à chaque nouvelle invitation. À chaque fois que je suis invité, je suis étonné. Je me dis qu’un jour, on va finir par se lasser de moi et ne plus m’inviter. Chaque exposition étant possiblement la dernière, je n’ai pas l’impression de réfléchir de manière stratégique. Je prends surtout beaucoup de plaisir et j'en profite au maximum comme si c'était vraiment le dernier.


La performance, lorsqu’elle s’appuie sur la création de sculptures ou peintures, permet-elle une réflexion critique sur ce qui l’entoure ? Amoindrit-elle une sorte de valeur «sacrée» aux œuvres en les plaçant dans une dimension utilitaire ou accessoire ? Une fois tes performances terminées, comment ressens-tu l’espace d’exposition ? Que devient-il à tes yeux ?


Les œuvres ne sont pas sacrées, pour moi, elles doivent être vivantes, et si elles ne peuvent l’être, elles doivent au moins vibrer. Pour cela, j’ai intimement besoin d’éprouver physiquement les choses. J’essaye tant bien que mal de malmener les objets, malmener mon corps, malmener les espaces. Mais c’est surtout afin d’en comprendre les limites et comprendre ce qui les définit. Et comme chaque chose vivante, elles doivent aussi mourir ou plutôt se transformer. Dans la plupart des expositions que j'ai fait, il y a toujours un élément en transformation. Que ce soit de l’argile qui sèche, une fleur qui se fane, du rhum qui s’évapore, où des éléments qui changent de place…

Yoan Sorin, "Vulgalys ou le sens de l'envers", performance 2017, Frac Pays de la Loire• Crédits : Fanny Trichet

Sculptures/peintures/performances, apparaissent-elles simultanément dans la construction de tes expositions ou l’une précède les autres ?


Ça dépend, mais on peut dire qu'il y a une partition pour la performance. Elle est balisée par des points fixes et des envies comme autant de situations et ce sont ces intentions qui m’amènent et me guident à tel endroit, devant telle sculpture. On peut voir ces points fixes comme autant d’états d’esprit différents et moi en tant que performer, je me rends à ces endroits et adopte ces états d’esprits. D’un autre côté, c’est important d’interagir avec le public et je me laisse cette marge de manœuvre pour trouver le ton juste. Ça arrive aussi que j’interprète des personnages précis. (cf: la performance «Comme l'oiseau» dans laquelle l'artiste incarne un oiseau). De cette manière, je peux évoquer toute l’imagerie qui est associée à ce personnage. Ce sont toujours des lentes transformations comme une métamorphose finalement et souvent, il y est question d’animalité. C’est une grande source d’inspiration pour moi. J’aime ce côté sauvage, un peu plus primitif et naturel.


Une esthétique self-made définit tes œuvres plastiques ; certains assemblages précaires relèvent du bricolage lévi-straussien - un civilisé qui redécouvre les joies de la pensée sauvage. Cette pensée sauvage n’est pas la pensée d’un être sauvage, mais la pensée à l’état sauvage distincte de la pensée cultivée ou domestique. «Elle veut saisir le monde dans l’intemporel à l’aide de messages et d’images signifiantes». Es-tu d’accord avec ces règles de transformation ? Peut-on parler de tes créations comme relevant d’une science du concret ? De ton côté, quelle valeur leur donnes-tu ?


L’esthétique self-made dans mon travail vient surtout d’un souci d’économie de moyen et d’écosystème. Je recherche d’abord à créer avec ce qui m’est accessible. J’assemble, colle et bricole les matériaux. J’essaye de suivre une évidence dictée par les formes ou les matériaux. Je ne sais jamais le résultat, lorsque je dessine des plans, c’est surtout pour rassurer les personnes autour de moi. Le processus de création est pour moi un vrai moment de liberté où je me laisse complètement aller. Les difficultés et accidents dessinent la base d’une composition. Les imperfections du bois sur mes sculptures deviennent très souvent un élément important.


De la peinture à la vidéo, de la sculpture à la performance, toutes tes œuvres s’organisent très bien les unes avec les autres. Leur indépendance s’entremêle naturellement pour former une structure rhizomique. Cette structure dans tes expositions, peut-on l’apprécier à travers le prisme du jardin créole comme le définit Édouard glissant ? Des plantes (des œuvres) qui se protègent mutuellement et transgressent l’opinion dominante.


Je te rejoins complètement sur le prisme du jardin créole, ce que je crée fait partie d’un tout ou chaque partie se croise et se rencontre. Finalement, ça me paraît tout à fait évident, mes recherches sont constamment liées à mon histoire personnelle. Elles me donnent souvent un socle pour parler d’histoire plus globale. Mon grand père, François Pavilla, fait partit des figures que j’invoque, mais je me le permets surtout parce que je suis son petit-fils et que je ne me l’autoriserais pas avec une autre personnalité au parcours similaire. Je fonctionne de la même manière qu’avec les matériaux, je me saisis de ce qui est le plus proche de moi pour les faire ensuite résonner avec d’autres histoires semblables. De la même manière, les rencontres humaines que je peux faire donnent souvent lieu à de nouvelles collaborations. Et c’est simple, on fait une exposition comme on fait une balade. Ça peut être léger et tellement essentielle.


Yoan Sorin, Frapper, Creuser. Performance. Exposition Une forme olympique, HEC, 2017 Photo: Céline Duval.

Avant l’art, la première de tes inclinations se tournait vers le sport (le basket) à un niveau professionnel. Quel lien tisses-tu d’un univers à l’autre (sport-art) ? Une fois dans une école d’art, est-ce ton ancienne pratique de sportif, (l’importance du corps), qui t’a conduit vers la performance ?


Effectivement, le basket fut très important pour moi, mais avant ça il y a eu la gymnastique, le baseball, voir la boxe. Ce qui était important pour moi, c’était de perfectionner un geste, maîtriser mon corps, éprouver ses limites. Donc assez naturellement, lorsque j’ai ressenti le besoin d’exprimer des choses plus personnelles en école d’art, je me suis servi de mon corps comme outil. Mais ce qui a définitivement inscrit la performance dans ma pratique à été les années de collaboration avec les performeuses Dana Michel et Amanda Piña.


En rendant hommage à ton grand-père et en apportant un peu du monde de la boxe dans celui de l’art, je pense naturellement à Arthur Cravan. Ce boxeur poète, neveu d’Oscar Wilde et artiste Dada. Cravan écrivait dans sa revue Maintenant au début du XXI siècle : «Je voudrais être à Vienne et à Calcutta, / Prendre tous les trains et tous les navires, / Forniquer toutes les femmes et bâfrer tous les plats. / Mondain, chimiste, putain, ivrogne, musicien, ouvrier, peintre, acrobate, acteur ; / Vieillard, enfant, escroc, voyou, ange et noceur ; millionnaire, bourgeois, cactus, girafe ou corbeau ; / Lâche, héros, nègre, singe, Don Juan, souteneur, lord, paysan, chasseur, industriel, / Faune et flore: Je suis toutes les choses, tous les hommes, et tous les animaux !» Il n’y a finalement qu’un seul «métier» qui permet de jouer et d’être à la fois tous ces rôles c’est celui d’artiste non ?


J’ai lu et rencontré le personnage de Cravan assez tardivement. Même si j’évoquais la boxe dans mon travail, je ne l’ai pas cherché immédiatement. Ce sont les personnes que je rencontrais qui me renvoyaient à lui systématiquement. J'ai donc fini par m'y pencher. À travers cette citation, Cravan expose justement le rôle de l’artiste et son rapport à la réalité. Les disciplines sont multiples, mais pouvoir concevoir le sport (ou autre) comme une possibilité artistique et poétique est une caractéristique du travail de l'artiste. Toutes celles-ci viennent nourrir sa pratique. Là, on parle de la boxe, mais les sources d'influences peuvent se trouver ailleurs. Je n’évoque jamais le travail à la chaine, en usine, alors que celui ci a été aussi important pour moi dans ma formation d’artiste. Cette idée, la répétition du geste, le travail laborieux. Ce lien entre le rythme et le geste me vient précisément du monde de l’usine. C’est le son du rouage des tapis qui arrive avec son rythme tout mécanique. Mon père s’est vraiment tué à travailler à l’usine. Lorsque je te disais que je conçois mes expositions comme les dernières, c’est que je me sens protégé à être invité comme artiste, à pouvoir faire mes expositions. Ma position d'individu se situe toujours entre lutte de classe et légitimité. Le reflet de ça se voit peut-être mieux dans mes performances. Elles peuvent vraiment changer en fonction du public. Si celui-ci semble désintéressé ou dédaigneux, je peux commencer de manière très violente comme un cri, un désir d’exister. Alors que la même performance dans un autre endroit avec un autre public qui cette fois est disponible peut la rendre totalement différente, et beaucoup plus sensuelle. C’est vraiment le public qui donne le ton et le public, finalement, ne peut s’apprécier qu’à travers son histoire personnelle.

Dana Michel et Yoan Sorin, Slash Universe I, CAC Brétigny. Photo : Fanny Trichet.

Pour finir, tu travailles souvent avec d’autres artistes. Cette volonté de s’unir, que dit elle de la création aujourd’hui ? Comment exprimes-tu ce besoin d’agir en groupe ?


J’ai besoin de ce travail de collaboration. Pour moi, il est très important et il peut intervenir dans toutes les strates de ce que peut être la création ou l’expérience plastique. Que ce soit avec des enfants, avec des amis artistes, avec des détenus. Je me redéfinis à chaque fois que je travaille avec d’autres individus. Dans ma pratique, je cherche des contraintes pour ne jamais refaire la même chose. Pour conserver un œil naïf et neuf à l’égard de ce que je vais faire. On pourrait la concevoir comme une pratique amateure, tournée vers l’inattendu et la découverte. Les pratiques intuitives entraînent souvent le besoin de trouver des astuces pour parvenir à réaliser une idée.

Les duos que je forme sont aussi des temps très forts. Ils tissent au-delà des relations professionnelles, de véritables liens humains. Pour te donner un exemple, avec Io Burgard, nous venons de réaliser l'exposition «Dilva» à Marseille. Si l'expo est terminée, on souhaite pourtant continuer à produire conjointement pour pouvoir dépasser ce projet, lui donner une autre dimension, sans savoir ou cela nous mènera. Notre exposition découle elle-même d'un temps de résidence en groupe

Avec Dana Michel, notre collaboration est différente. C'est à la fois un temps de travail et un temps de retrouvailles. Elle n'habite pas en france et je suis interdit de territoire dans son pays. Lorsqu'elle vient ici, nos intérêts se mélangent. Finalement, mes collaborations sont à la fois liées à l’intime et au professionnel. Mais de manière générale, si je m’entends bien avec quelqu’un, je peux facilement collaborer avec lui, que nos productions soient montrées ou pas.


Entretien réalisé par Vincent-Michaël Vallet



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